Retour de Cannes





Durant mes trois (plutôt quatre) jours à Cannes, j'ai dû faire de nombreux choix quant aux projections des films. Ma stratégie fut la suivante : privilégier les films susceptibles de ne pas sortir en Belgique et ceux que je ne pouvais plus attendre tellement j’avais envie de les découvrir. Si j'ai un regret, c'est bien de ne pas avoir eu la possibilité de découvrir The House That Jack Built de Lars Von Trier, tout simplement parce qu'aucune séance de rattrapage n'était prévue lorsque j'étais sur place. Toujours aucune date de sortie annoncée pour la Belgique, mais ce que je sais déjà, c'est que l'attente sera longue. Outre cette déception, mon accréditation m'a finalement donné l'occasion de découvrir huit films en quatre jours (évidemment j’ai fait la manche pour les invitations), ce qui est plutôt une bonne moyenne. Les critiques plus détaillées de chaque film que j'ai pu voir lors du Festival sortiront un petit peu plus tard, car je n'ai malheureusement pas le temps de me plonger dans leur écriture dès maintenant. Voici donc pour chaque film un avis, à froid, pour vous partager mes coups de cœur ou déceptions. 

Appréciation: **** (coup de coeur), *** (très bien), ** (bien), * (faible), (mauvais)

Les coups de (et au) cœur : 

Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez

Avis : ****


Le cinéma, avant de devenir collectif, est une expérience personnelle. Face à l'écran, nous sommes seuls, dans le noir, en silence et immobile. Un couteau dans le cœur annonce la couleur dès le début avec une scène macabre et sensuelle captivante. Après vingt minutes de film je remarque du mouvement et m'aperçois que de nombreuses personnes quittent la salle. Mon voisin de siège semble souffrir le martyr, et moi, parmi la foule, je plane totalement dans ce cauchemar visuel. Le lendemain, dans les files, dans les salles et sur la croisette j'entends "Une daube intersidérale", "Vanessa Paradis joue tellement mal !", "Qu'est-ce que ça fout en compétition ce truc ?".  C'est l'incompréhension totale. Et pourtant, après ce soir-là, impossible de rentrer dans les autres films, tellement la musique électro de M83 et les images électriques de Gonzalez me hantaient. 

On ne peut pourtant pas dire que j'étais conquise d’avance : Les Rencontres d'après minuit, premier long de Gonzalez ne m'avait pas vraiment convaincue, malgré une esthétique remarquable. Avec Un couteau dans le cœur, Gonzalez ose sans s’imposer une quelconque censure, frôle le risible pour offrir une œuvre vibrante et marquante. Un couteau dans le cœur ressemble à un vrai cauchemar, où les personnages réagissant naïvement et primitivement. Gonzalez propose autre chose dans le cinéma français, et qu’est-ce que ça fait du bien.

Under The Silver Lake de David Robert Mitchell 

Avis : ****


Un ovni cinématographique drôle et merveilleusement mis en scène. Andrew Garfield incarne à la perfection un personnage un peu flemmard, sans but et aux obsessions de sa génération. David Robert Mitchell signe un film de et sur son époque. Les références cinématographiques sont nombreuses (Rear Window, Mulholland Drive, etc.) et le mélange des genres font d’Under The Silver Lake un film novateur. 

Le Livre d'Image de Jean-Luc Godard 

Avis : ****


Jean-Luc Godard a reçu samedi dernier une Palme d’Or spéciale, un prix unique jamais décerné. Le Livre d’Image est vertigineux, intelligent et nécessaire. Godard entraîne le spectateur dans une expérience sensorielle, presque éprouvante. C’est une réflexion sur notre époque et sur la violence de l’homme. Godard nous dit qu’on ne pense pas assez avec nos mains, et comme au cinéma le spectateur est contraint à la passivité, ce sont la vue et l’ouïe que Godard sollicite de manière inhabituelle. Godard transforme les images, retravaille les couleurs et les associe à des fragments de textes, de musiques et de sons. Il fait partie de ceux qui ne cesseront jamais de réinventer les moyens d’expression.

Les bons moments : 

Leto de Kirill Serebrennikov 
Avis : ***


Leto est plus un film sur la création musicale, l’essence du rock’n’roll et la jeunesse en URSS bercée par la New Wave ou le Glam Rock qu’un véritable biopic sur Victor Tsoï. Les personnages sont en retrait et participent à cette grande fresque de liberté, de musique et de rêve. Derrière ses apparences de bonheur et de liberté, Serebrenikov détruit constamment l’illusion en rappelant que ce que nous voyons de joyeux « n’a jamais existé ». Faire du rock en URSS dans les années 80 n’a pas toujours été facile, tout comme la création en général. Kirill Serebrennikov dénonce par ce film ce qu’il est en train de vivre, lui qui est assigné à résidence pour une histoire d’argent peu claire, une affaire mystérieuse autour d’un « artiste qui dérange » en Russie. Dans Leto, le récit oscille entre la réalité et la vie rêvée des rockeurs de l’est. Le film déçoit seulement par son manque de récit, se limitant à des débuts musicaux d’un artiste ou un triangle amoureux.



Lazzaro Felice d'Alice Rohrwacher 
Avis : ***




Le cinéma d’Alice Rohrwacher est singulier et intelligent. Lazzaro Felice traite de l’esclavage moderne et de l’ignorance des soumis. Lazzaro est un jeune homme bon et au service des autres. Sa bonté est sa faiblesse et il ne parvient pas à sortir de son lien de subordination. Rohrwacher mérite amplement son Prix du scénario, car elle trouve dans cette histoire la manière adéquate pour traiter son sujet. Le film est beau, léger, inventif et ne tombe jamais dans le sentimentalisme.

Les petites déceptions : 

Ash is Purest White de Jia Zhang-Ke 
Avis : **


Les premières images du film qui circulent sur internet sont trompeuses. Le film semblait chaud et vif dans ses couleurs, hors, ce n’est absolument pas sa tonalité. L’image est même parfois fade et les paysages sont beaucoup moins profonds que dans A Touch of Sin. Ash is Purest White démarre plutôt bien en nous introduisant dans le milieu de la pègre chinoise. Arrive alors une scène d’une maîtrise incroyable, où se trouve concentré tout le génie de Jia Zhang-Ke. Après une éllipse de cinq ans, le récit reprend, sans jamais retrouver le rythme et l’émotion. Zhao Tao est cependant remarquable dans ce rôle de femme violente et blessée.

Long Day's Journey Into Night de Bi Gan 
Avis : **


La déception vient peut être d’une séance trop tôt dans la journée, avec la fatigue de la veille et la fascination d’Un Couteau dans le Cœur. Long Day’s Jouney Into Night est une vraie réussite d’un point de vue technique et esthétique. La première partie du film relate l’histoire d’un homme meurtrier qui recherche dans sa ville natale une jeune femme qu’il aimait. Il la voit à ses côtés sans savoir si c’est elle, ou un fantôme. Malheureusement, l’histoire est assez complexe et perd le spectateur très facilement. Le visage du protagoniste apparaît à peine à l’écran et son histoire s’éparpille dans des discours et des noms inconnus. La deuxième partie bascule dans la 3D et invite par effet miroir le spectateur à enfiler ses lunettes, comme le protagoniste. Le voyage dans la nuit commence alors. Les rencontres se succèdent et la caméra se balade, libre et curieuse.

Dogman de Matteo Garrone 
Avis : *


Honnêtement, je n’attendais pas énormément de Dogman, après l’affreux Tale of Tales qui m’avait carrément dégoutée du cinéma de Garrone. Ce film-ci n’est pas aussi détestable mais manque cruellement d’originalité. C’est une histoire inspirée par un fait divers : un toiletteur pour chiens voit l’un de ses amis d’enfance sortir de prison et se fait manipuler par celui-ci. Le récit est très prévisible et on se demande ce que cherchait Garrone avec cette histoire : que veut-il raconter ? Le rythme est également brisé par une magnifique éllipse temporelle d’un an, qui évidemment « transforme » son personnage. Les personnages secondaires sont monolithiques et stéréotypés, Garrone les laissent d’ailleurs toujours en arrière fond, comme embarrassé par ceux-ci.

Matteo Garrone a tout de même du mérite : il révèle un acteur formidable. Marcello Fonte a 39 ans et c’est la première fois qu’il incarne un personnage principal au cinéma. Il fait partie de ces acteurs qui accueillent le spectateur et ne doivent pas en faire beaucoup pour avoir toute leur empathie. Fonte excelle tellement que Garrone semble se reposer entièrement sur lui afin de faire vivre son projet.



Clotilde Colson















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