Mektoub, My Love : Intermezzo : chronique d’un scandale cannois
Avertissement :
cet article contient quelques « spoilers ». Je préfère le dire, même
s’il n’y a pas grand chose à gâcher (voire rien du tout). Et puis, qui sait,
vous ne verrez peut être jamais ce film en salle, ou du moins, pas exactement dans
la même mouture.
Il est difficile de faire une critique de Mektoub, My Love : Intermezzo.
C’est pourquoi je préfère vous partager mon expérience lors de cette soirée
cannoise du scandale. Mektoub, My Love : Canto Uno, premier volet de la trilogie sorti l’année
passée, m’avait bouleversée. C’est un film que je vous conseille vivement, tant
il est d’une beauté rare et d’une justesse inégalable. Kechiche était au sommet
de son art. Cette année, lorsque j’apprends que le deuxième volet sera projeté
à Cannes, mon cœur s’emballe. Ce film fait alors partie de mes plus grosses
attentes du Festival. Par chance, j’obtiens avec ma sœur des invitations pour
le gala de 22h où l’équipe du film et Abdellatif Kechiche seront présents. Ma
chance ne s’arrête pas là, car ma place se situe dans le parterre du Grand Théâtre
Lumière, à seulement quelques rangs de l’équipe du film. Je vis un rêve éveillé.
Mais ça, c’était avant le début du film.
Avec ce deuxième « faux » volet,
Kechiche a trompé tout le monde. Alors que l’on s’attendait à une suite de Canto Uno, Kechiche nous présente en
réalité un intermède musical et dansant (il suffisait en fait de lire le titre du
film pour deviner ce qu’allait être ce nouveau Mektoub). Pourtant, le
début du film laisse penser à une suite directe du premier volet. Ophélie et
ses amis sont à la plage et rencontrent une nouvelle jeune fille, Marie. Les jeunes
parlent de tout et de rien, se répètent, les dialogues sont naturels, comme
improvisés. Kechiche capte toujours aussi bien la vie en faisant rayonner ses
interprètes. Cependant, dès le début du film, un détail retient mon attention. Alors
que nous nous trouvons dans le Théâtre Lumière, réputé pour sa qualité de son
exceptionnelle, j’ai presque du mal à comprendre les premiers dialogues tant
les voix des acteurs résonnent. Le film
de Kechiche n’est absolument pas fini, et cela se confirmera par la suite.
Après une demi-heure, la scène de plage se
termine pour laisser place à une séquence dans une boîte de nuit. A cet instant
précis, je suis loin de m’imaginer que cette scène va durer 2h30. Jusqu’ici, je
retrouve tout ce qui me plaisait dans le premier Mektoub, à un détail près : le personnage principal manque à
l’appel. Amin apparaît quelques secondes dans une première scène très courte,
et ne revient qu’en plein milieu du film. Ce deuxième film n’adopte plus le
point de vue d’Amin, mais celui du réalisateur, de Kechiche. C’est évidemment
ce détail qui a fait polémique au Festival de Cannes. Pendant 3h28, Abdellatif
Kechiche filme les culs des femmes, leurs seins, leurs ventres, et au final, ne
filme même plus vraiment leur visage. Tous ces personnages que je pensais avoir
retrouvé ne sont que des silhouettes. Des corps qui dansent, des formes. Les
performances des comédiens ne sont même plus de l’ordre du jeu mais de la
danse. Ophélie Bau est la seule qui joue, les autres filles sont devenues de
véritables objets. La pauvre Lou Luttiau n’a plus rien à dire et doit se
contenter de twerker à une barre de club pendant 3h de film. Quant à Amin, son
personnage semble avoir complètement changé et en devient moins intéressant. La
petite nouvelle, Marie Bernard, ne s’en sort pas mal, mais n’est pas vraiment
gâtée. Comme les autres filles, elle passe son temps à danser sur des podiums
et à chauffer des garçons. Le soleil qui brillait dans le Canto Uno a définitivement disparu.
Le fait de vivre une expérience de 3h dans
une boîte de nuit au cinéma n’est pas ce qui me dérange. La musique
assourdissante et les corps nous fatiguent, nous étourdissent, nous mettent
dans une transe intéressante. Kechiche radicalise son cinéma et essaye de se
renouveler. Seulement, à force de vouloir laisser parler ses images, Kechiche
ne les contrôle plus du tout. Certains plans se répètent, et la séquence de
boîte de nuit finit par énerver. Intermezzo
ressemble à un amas de rushes, d’images sorties de la caméra de Kechiche qui ne
sont même pas passées par la case étalonnage. Sélectionner Intermezzo à Cannes était une erreur : un film non-terminé,
trop long et très peu féministe…
Mektoub,
My Love : Intermezzo
pourrait s’apparenter à une tentative ratée de cinéma expérimental. Le regard
que Kechiche pose sur les femmes révolte. Au-delà du placement de sa caméra
(toujours en contre-plongée sous les fesses d’Ophélie Bau), Kechiche réduit ses
personnages féminins à des filles écervelées, seulement bonnes à twerker ou à
parler des fesses des hommes. Je ne reviendrai pas en détail sur la déjà
célèbre scène de cunnilingus de 15 minutes. Kechiche semble prendre plaisir à
filmer le sexe au plus près, au plus sale, et en prenant bien soin de ne jamais
déshabiller un homme. Les deux acteurs de cette scène dérangeante, Ophélie Bau
et son compagnon Roméo Delacour n’ont d’ailleurs pas assisté à la projection
du film, signe qu’il y avait un malaise. Dans ce deuxième film, les personnages
masculins sont des prédateurs, des manipulateurs. « On t’a chauffé une
salope », lance Tony à Amin pour lui présenter la petite nouvelle.
Avec cet interminable intermède, Kechiche
semble ne plus rien avoir à nous raconter. Les discussions tournent à vide, les
personnages disparaissent, les musiques se répètent (« Voulez-vous »
d’ABBA en continu), et au final, peu de choses nous restent en tête à l’issue
de la projection, si ce n’est cette sensation d’avoir vécu le choc du Festival.
Lorsque la séquence de boîte de nuit se termine, un spectateur crie
« Enfin ! » et la salle se met à applaudir tout en rigolant
timidement. Le film se termine, « Yes
Sir, I Can Boogie » retentit dans la salle et sur l’écran, absolument
rien. Aucun nom, aucun titre, aucun logo de production, un simple écran noir. Les
rares spectateurs restant dans la salle applaudissent quelques secondes. Moi
qui étais si contente d’être là, je n’ai même pas réussi à applaudir.
Clotilde
Mektoub, My Love: Intermezzo
FRA (2019)
Date de sortie inconnue
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