The House That Jack Built : sur le chemin de l’Enfer
Appréciation : ****
Are you allowed
to speak allong the way ?, demande Jack à un interlocuteur
inconnu, alors que la salle de cinéma est toujours plongée dans le noir. Le
récit commence et Jack a beaucoup de choses à raconter. Il m’a fallu attendre
plus d’une semaine avant de pouvoir écrire sur The House That Jack Built. Entrer dans un film de Lars Von Trier
est toujours une expérience aux séquelles irréversibles. Mais de tous ses
films, The House That Jack Built
pourrait être désigné comme le plus dérangeant. À la question « Qu’est-ce
que le mal absolu ? », Lars Von Trier répond Jack. Plus qu’un film,
plus que du cinéma, Lars va toujours dans l’au-delà, et cette fois-ci, vous
êtes les bienvenus en Enfer.
Face à la banalisation de la violence dans de
nombreux films à gros budgets, il est de plus en plus difficile de choquer au
cinéma par le simple meurtre. Au 21ème siècle, les fusillades,
bagarres, coups de couteaux ou autre dégueulasseries dégoulinent dans le Septième
art, jusqu’à habituer le spectateur. Avec The
House That Jack Built, Lars Von Trier prouve pourtant que le crime peut
toujours traumatiser, car tout est une question de point de vue. Afin d’entrer
dans l’horreur, Lars Von Trier suit son protagoniste, Jack (Matt Dillon), comme
s’il s’agissait d’un documentaire. Les séquences de crimes se déroulent en temps
réel et observent les moindres détails de l’événement. En plus de cet aspect
documentaire, The House That Jack Built est
la confession d’un criminel et une plongée dans ses images mentales. Les
obsessions de Jack, ses souvenirs d’enfances et ses rêves inachevés :
chaque détail compte dans la construction du plus terrifiant criminel. Le but
n’est pas de comprendre Jack, mais de découvrir l’origine du Mal.
Lars Von Trier sait viser le cœur du spectateur, et
toujours en plein dans le mille. Comme certains de ses précédents films, The House est découpé en chapitres, avec
un prologue et un épilogue. Chaque chapitre correspond à un
« incident » et s’attarde sur l’un des chefs-d’œuvre morbides de
Jack. L’horreur se construit, pas à pas, accompagnée par beaucoup d’humour.
C’est cette combinaison contradictoire qui perturbe le plus. Beaucoup de scènes
atroces font rire le public, à s’en sentir gêné, honteux de rire de cette
cruauté. Des cinq incidents, le troisième est le pire. Il y a de ses images que
l’on préfèrerait ne jamais avoir vues et qui pourtant ne nous quitteront
jamais. C’est évidemment cet épisode tragique qui fait rire le plus les
spectateurs. Lars Von Trier nous confronte au pire et nous oblige à réagir face
à ses images. Le cinéma de Lars est, certes provocateur, mais il est aussi
honnête avec les sujets dont il traite. The
House est un film sur l’Enfer et Lars ne se met aucune barrière afin de
capter au mieux l’essentiel de sa réflexion. Matt Dillon incarne Jack, rôle que
personne ne voulait. Lui qui se faisait discret revient avec un personnage
impressionnant. Sa voix envoûtante nous attrape et nous suit bien au-delà de la
salle de cinéma.
The House
That Jack Built mélange deux esthétiques
opposées : d’un côté, une image terne et documentaire qui accompagne les
meurtres et fait penser au Dogme 95, de l’autre une esthétique baroque et
clair-obscur inspirée de peintures à thèmes bibliques. La deuxième n’est en
réalité exploitée que dans l’épilogue, un merveilleux moment de cinéma et
d’audace que l’on vit trop rarement avec les productions cinématographiques actuelles.
Lars Von Trier se sert de ces esthétiques pour construire un discours.
Agrémenté d’images d’archives, de vidéos, et même d’images d’anciens films de
Lars lui-même, The House mélange
fiction et théorie afin de décrypter le Mal. Chez Lars, rien n’est gratuit,
tout est au service du propos. Et si ses films sont si passionnants, c’est
parce qu’ils ne ressemblent à aucun autre. Ce que Lars essaye de faire, et
c’est lui qui le dit, c’est de combler les trous et faire ce qui n’existe pas
dans le paysage du cinéma. L’art de Jack est, certes, horrible, mais celui de
Lars est magnifique.
The House That Jack Built
de Lars Von Trier
DEN (2018)
Sortie le 17 octobre
Clotilde
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