BlacKkKlansman : où est l’émotion ?
Appréciation : •
Lorsqu’à la fin d’un film, on se rend compte que les
seules images qui nous ont touchées sont celles d’archives, c’est forcément
qu’il y a un problème. Spike Lee décide de parler du Ku Klux Klan avec légèreté
et contourne sans cesse le cœur du conflit. Lauréat du Grand Prix au 71e
Festival de Cannes, le dernier film de Spike Lee étonne par son manque de fond
et son trop plein de forme.
Il faut reconnaître la patte de l’auteur et sa
volonté d’enlever du drame tout en voulant faire passer un message. BlaKkKlansman
est un film drôle (sûrement) qui présente chaque situation tel un jeu d’enfant.
Rien n’est grave et tout est très vite résolu. Mais la légèreté du ton étouffe
complètement le sujet, si bien que le Ku Klux Klan se résume à une joyeuse
bande de quelques débiles qui, de temps à autre (c’est-à-dire une fois dans le
film), brûle une croix. À force d’éviter la violence, Spike Lee ne parle plus
de la réalité. BlaKkKlansman est une anecdote, une petite histoire sympathique.
Le moment était pourtant bien choisi : avec Trump au pouvoir, revisiter
l’horreur du Ku Klux Klan semblait une très bonne idée. Seulement, Spike Lee
préfère la forme au fond, le style à la réalité, et le message ne passe pas.
Faut-il montrer la violence ? J’aborderai
bientôt la question avec The House That
Jack Built, film de l’enfer et dernier en date de Lars Von Trier. L’année
passée, sortait Detroit de Kathryn
Bigelow. Ces deux films abordent le racisme et les violences policières envers
la population afro-américaine. Ce qui différencie les deux films est la puissance de leur message
et la représentation de la violence. Bigelow plonge le spectateur dans le drame
alors que Spike Lee préfère la comédie. Bigelow ose aller loin dans la
représentation de la violence, quitte à faire durer les moments atroces. A
l’opposé, Spike Lee ne montre pas un seul instant de souffrance. La violence se
fait par les mots, avec la redondance des « I hate nigga » de tous les côtés. Mais l’artificialité des
dialogues ne rend pas compte de la gravité du sujet.
BlakKklansman reste constamment en surface. Les personnages
n’existent pas et répètent machinalement un scénario mal écrit, redondant et
sans finesse. À force de rester dans la superficialité et la blague, une
question se pose : où est l’émotion ? Pendant plus de 2h, l’histoire
se déroule, les évènements s’enchainent mais les émotions manquent. Le récit
suit la forme aristotélicienne très classique avec un découpage en trois actes,
mais Spike Lee semble avoir désamorcé le conflit dans chaque scène. Le
personnage principal ne connaît pas d’obstacle et enchaîne les réussites
jusqu’à la fin. C’est presque un idéal : revivre cette époque comme si
tout était facile. En restant dans cette artificialité, Spike Lee crée un
barrage entre le spectateur et le personnage.
Spike Lee aime la mise en scène, le montage et les
« effets ». Il ose le split-screen
en diagonal et abuse des contre-plongées afin de montrer les rapports de force
entre les personnages. Les décors et costumes vont de pairs et créent une
harmonie dans les tons cuivrés. Mais parfois, la mise en scène se retourne
contre Spike Lee, lorsque celui-ci va trop loin : qu’il s’agisse de fondus
de visages qui en deviennent larmoyants ou du choix de poser les acteurs sur un
travelling, transformant ainsi le film en un clip absurde.
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