Under The Silver Lake : le classique du futur
Découvert au dernier Festival
de Cannes mais reparti bredouille, Under
The Silver Lake est le film qu’il manquait à son époque. Si il divise
aujourd’hui, aucun doute que l’on continuera à parler de lui durant les années
à venir.
Loin d’un pastiche ou
d’un « film-hommage » au cinéma, Under
The Silver Lake s’aide du passé du septième art pour en reprendre les codes
et les références afin d’innover. Rien n’est copié, tout est transformé. David
Robert Mitchell, réalisateur révélé grâce à It
Follows, un teen movie d’horreur
remarquable, sait très bien en s’attaquant à Los Angeles que la ville a déjà
été étudiée, utilisée et réutilisée au cinéma. Les mystères liés à celle-ci ont
déjà été percés à maintes reprises. Quoique… Se jouant de ces mythes
hollywoodiens préexistants, David Robert Mitchell décide d’y ajouter ses
propres histoires et crée dès lors une couche supplémentaire de mystère. Il s’imagine
alors ce qui se joue derrière les apparences de la ville des stars, mais avec
beaucoup d’humour.
David Robert Mitchell
détourne le mystère d’Hollywood tout en lui rendant hommage. Lors de ses
vagabondages, le jeune homme incarné par Andrew Garfield découvre les tombes
d’Hitchcock, dont l’influence est indéniable dans le film, ainsi que de Janet
Gaynor, une célèbre actrice californienne. Les clins d’œil au septième art deviennent
un jeu pour le cinéphile mais ne se limite pas à ça. Reprendre des scènes, des
motifs, des styles, des idées, c’est faire vivre l’amour du cinéma et refaire
exister certains vieux films. Par exemple, la scène du landau dégringolant les
marches d’Odessa dans Le Cuirassée
Potemkine de S.M. Eisenstein a été reprise plusieurs fois, notamment par Brian De Palma
dans Les Incorruptibles, et ne cesse
de passionner, y compris au travers de ses remakes.
Esthétiquement, D. R.
Mitchell s’amuse à reprendre des scènes, comme lorsque la mystérieuse Sarah
(Riley Keough) apparaît dans la piscine et prend la pose de Marylin Monroe dans
l’inachevé Something’s Got to Give de
George Cukor. Mais au-delà de ce fétichisme, David Robert Michell assume une
identité visuelle moderne et pleine de couleurs, tout en osant les mouvements
de caméras datés. La référence au film noir s’étend jusqu’à la musique, qui
accompagne l’histoire et fluctue avec l’intensité dramatique. La musique
hitchcockienne, les images pop, mais
référencées, et le scénario donnent un mélange unique en son genre et l’une des
proposition les plus intéressantes vues au cinéma ces dernières années.
David Robert Mitchell
signe son meilleur film grâce à une complexité narrative et un lâché prise
créatif qui fait du bien. Beaucoup trop de producteurs ou professeurs dans les
écoles de cinéma sont dépassés et obligent les jeunes cinéastes à se concentrer
sur certaines bêtises telles que la structure en trois actes ou le
« pourquoi » du personnage, de son objectif, de son secret. David
Robert Mitchell s’approprie le schéma dramatique et en fait ce qu’il veut. Son
film dure 2h20, ce qui peut paraître long pour certains, mais exploite son
sujet et son imagination au maximum. Les idées et innovations sont si
nombreuses dans le Silver Lake que
l’on se dit que le film aurait pût durer beaucoup plus.
C’est grâce à cette
imagination débordante que David Robert Mitchell livre des scènes déjà cultes
et qui ont le don d’aller chercher en le spectateur des émotions rares. Une
séquence, que je nommerai « la scène du songwritter », est directement devenue ma meilleure scène de
l’année. J’ai découvert le film à Cannes et suis ensuite retournée le voir avec
ma sœur lors de sa présentation au BRIFF à Bruxelles. Les émotions étaient les
mêmes. La scène du songwritter m’a à
nouveau surprise et hypnotisée. Et je n’étais pas la seule : le public,
qui était dans ma tranche d’âge, avaient les mêmes réactions. Under The Silver Lake est un film qui
parle aux jeunes, sans exclure les plus âgés. Mais le Silver Lake souffrirait-il du même problème que d’autres films
comme American Honey, c’est-à-dire
d’être compris par sa seule génération ?
Under The Silver Lake représente
notre époque, sans occulter ce qu’elle a de répugnant tout comme l’avait fait Harmony
Korine avec on Spring Breakers sorti
en 2012. Andrew Garfield incarne un héro moderne, pantouflard, parfois à côté de
ses pompes et voyeuriste. Andrew Garfield trouve l’un de ses meilleurs rôles,
et accepte avec humilité de ne pas toujours être à son avantage. Sam, son
personnage, arrive à être très attachant mais sans nous attirer par l’empathie
ou les larmes. Parfois son personnage agit de manière inattendue et pourtant,
il ne perd jamais notre sympathie.
Under The Silver Lake suit
la voie du Mulholland Drive de Lynch
avec ses jeux de pistes et ses mystères. Patrick Fischler, qui jouait l’homme
effrayé dans la cafétéria de Mulholland,
se retrouve au casting, dans le rôle d’un auteur de fanzine sur la légende du
Silver Lake et du dog killer, pour
une séquence jouissive et merveilleusement interprétée. On peut, encore une
fois, y voir un hommage au maître Lynch. L’univers du Silver Lake est à découvrir, puis à revisiter, tant ce monde de
moufettes, de tueurs de chien et de femme-hibou n’en finit plus de nous
surprendre.
Clotilde
Colson
Under The Silver Lake
De
David Robert Mitchell
USA
(2018)
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