Roma : poésie en streaming




Roma de Alfonso Cuarón est un cas particulier : il porte l’étiquette Netflix, célèbre plateforme de contenus, alors qu’il est un vrai film de cinéma. Mais que veut encore dire cinéma à l’heure où les images se regardent sur smartphone ? J’ai eu la chance de découvrir Roma sur grand écran, là où le film révèle au mieux sa splendeur. 

Dès ses premières images, Roma s’oppose aux « habitudes » de consommation des utilisateurs Netflix. Les images sont lentes, contemplatives et travaillées. L’intrigue se développe lentement et en finesse, sans jamais forcer les conflits ou autres retournements. Roma est un film calme et presque silencieux. C’est un vrai film d’auteur qu’on pourrait croire fait pour les salles d’art et d’essais. Il est difficile de se positionner face à ces changements de production cinématographique. D’un côté, Netflix offre à de nombreux artistes la possibilité de réaliser de merveilleux projets (Roma pour Cuarón et bientôt The Irishman pour Scorsese), de l’autre, Netflix annule le passage des films dans les salles obscures. Pour déguster la culture, il faut aujourd’hui être « abonnés », que ce soit à Netflix, Amazon ou autre. Et qu’en est-il de l’expérience ? Le petit écran est sensé prendre le relai. La séance de cinéma avec les spectateurs se fait maintenant à domicile et de manière isolée. C’est pourtant en découvrant des films comme Roma au cinéma qu’on se rend compte du pouvoir des images et du grand écran.



Roma est difficilement classable. Son intrigue est simple, c’est l’histoire d’une domestique vivant dans une famille riche au Mexique. Son quotidien est rythmé par les autres. Elle ne semble pas avoir une vie à elle. Lorsqu’elle rencontre un homme et commence une histoire, c’est à ce moment que tout s’effondre, comme si sa condition l’empêchait de vivre une vie. Cette histoires simple est touchante est rendue merveilleuse par la mise en scène de Cuarón, qui épate à chaque nouvelle image. L’intelligence du film vient aussi de ces moments presque suspendus et spectaculaires qui s’invitent dans ce quotidien. Certaines scènes impressionnent de par leur grandeur et leur importance, comme le tremblement de terre à la maternité ou l’incendie du Nouvel an. Cuarón sait créer des moments forts. Roma flirte avec plusieurs genres et se libère du carcan de drame social en osant les touches d’humour assumées.




Inspiré par son enfance, Roma a la douceur des souvenirs d’enfances. C’est un film immersif et tendre. Le noir et blanc, pourtant plus froid que la couleur, donne une image fragile et délicate, où chaque détail du décor est comme dessiné à traits fins. Alfonso Cuarón réalise son film le plus personnel et arrive à convaincre ses pairs américains avec un film à l’opposé des productions à succès. Roma ne tombe jamais dans le larmoyant, il se contente d’observer son sujet et le laisse se promener dans des décors d’exceptions. Avec Roma, Alfonso Cuarón donne aux spectateurs un véritable moment de cinéma.

Roma 
de Alfonso Cuarón
MEX (2018) 
Actuellement sur Netflix 


Clotilde Colson 



Commentaires

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Mektoub, My Love : Intermezzo : chronique d’un scandale cannois

Image
Avertissement : cet article contient quelques « spoilers ». Je préfère le dire, même s’il n’y a pas grand chose à gâcher (voire rien du tout). Et puis, qui sait, vous ne verrez peut être jamais ce film en salle, ou du moins, pas exactement dans la même mouture. Il est difficile de faire une critique de Mektoub, My Love : Intermezzo . C’est pourquoi je préfère vous partager mon expérience lors de cette soirée cannoise du scandale. Mektoub, My Love : Canto Uno , premier volet de la trilogie sorti l’année passée, m’avait bouleversée. C’est un film que je vous conseille vivement, tant il est d’une beauté rare et d’une justesse inégalable. Kechiche était au sommet de son art. Cette année, lorsque j’apprends que le deuxième volet sera projeté à Cannes, mon cœur s’emballe. Ce film fait alors partie de mes plus grosses attentes du Festival. Par chance, j’obtiens avec ma sœur des invitations pour le gala de 22h où l’équipe du film et Abdellatif Kechi...
Lire la suite

#01 Night on Earth de Jim Jarmusch (1991)

Image
Film méconnu, voir délaissé de la filmographie de Jim Jarmusch, Night on Earth met en scène cinq taxis dans cinq villes différentes lors d’une même nuit. De Los Angeles à Helsinki, Jarmusch dirige un casting de stars à travers le monde. Night on Earth n’est certainement pas le meilleur Jarmusch mais mérite tout de même le détour. Los Angeles, une jeune chauffeuse de taxi au look masculin et clope à la bouche conduit des stars du rock à l’aéroport. C’est Winona Ryder, dans un rôle totalement opposé à celui de Kim d’ Edward aux mains d’Argent,  tourné la même année. À son habitude, Ryder s’investit à fond dans son jeu, ce qui a le don d’en énerver certains ou d’en ravir d’autres. Le look boyish et l’attitude de jeune rebelle qui fume en permanence lui vont plutôt bien. Cette première histoire, tout comme celles qui vont suivre, oppose deux personnages qui n’ont rien à faire ensemble. La cliente que Ryder va conduire est une directrice de casting chic et précieuse interprét...
Lire la suite

Under The Silver Lake : le classique du futur

Image
Découvert au dernier Festival de Cannes mais reparti bredouille, Under The Silver Lake est le film qu’il manquait à son époque. Si il divise aujourd’hui, aucun doute que l’on continuera à parler de lui durant les années à venir. Loin d’un pastiche ou d’un « film-hommage » au cinéma, Under The Silver Lake s’aide du passé du septième art pour en reprendre les codes et les références afin d’innover. Rien n’est copié, tout est transformé. David Robert Mitchell, réalisateur révélé grâce à It Follows , un teen movie d’horreur remarquable, sait très bien en s’attaquant à Los Angeles que la ville a déjà été étudiée, utilisée et réutilisée au cinéma. Les mystères liés à celle-ci ont déjà été percés à maintes reprises. Quoique… Se jouant de ces mythes hollywoodiens préexistants, David Robert Mitchell décide d’y ajouter ses propres histoires et crée dès lors une couche supplémentaire de mystère. Il s’imagine alors ce qui se joue derrière les apparences de l...
Lire la suite